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Danseuse chorégraphe Clown
9 juillet 2013

Entre les pas de chacun peut se faire une rencontre

Le voyage  de plusieurs mois sur le territoire indien est un vieux rêve. Il réalise une envie de parcourir de nouveaux terrains mais de pouvoir partager des moments de danse avec des jeunes indiens et moins jeunes.

Voila une écriture qui explique mon envie de renouveller un voyage en Inde

"Passé, présent, futur confondus dans une présence à l'autre"

Les enfants indiens marchent pieds nus. Ils ont les pieds dans le sol comme on pourrait dire en danse contemporaine. Cela ne représente pas un apprentissage pour eux c’est inscrit dans leur habitus. Nous, européens, nous avons à apprendre comment nous ancrer et comment nous servir de la pliure des jambes pour mieux rebondir. La qualité plastique de ces enfants indiens les fait être actifs sur leurs appuis et sauter agilement. Ils sont vifs et leurs danses sont spontanément sautillantes.

Nous prenons plaisir à enchaîner avec eux des pas rythmés évolutifs en coordonnant leur exécution par vague de cinq à six élèves. Cela nous procure plein d’énergie. Kandalsamy et moi construisons une chorégraphie comprenant plusieurs séquences et nous tentons de les mettre en place.

Ainsi nous leur donnons la direction et la structure rythmique qu’ils doivent respecter pour évoluer à deux.

« Un temps d’action de 8 temps et un temps d’écoute de 8 temps, ainsi en agissant alternativement par deux, ils peuvent se répondre corporellement ». Là, une première difficulté apparaît chez nos jeunes danseurs, car nous ne sommes plus dans du recopiage mais dans de la mémoire rythmique, il leur faut intégrer les 8 temps, un certain espace temps.

Ils ont du mal à interrompre leur action, car l’élan du corps les déborde.

Consignes strictes, mais complexes à respecter. Après plusieurs répétitions ils comprennent l’exercice et s’y exercent avec bonne humeur. Cette situation d’écoute est particulière : elle structure et impose une écoute du rythme de l’autre.

Nous poursuivons avec d’autres composantes spatiales que je leur impose. Ils doivent se répartir dans la salle sans se suivre et en toute liberté sentir et choisir leur espace.

Là, j’observe qu’ils semblent déroutés, ils ne comprennent pas la consigne et je recommence avec l’aide de Kandalsamy afin qu’ils saisissent la contrainte de se repérer librement dans la salle. C’est difficile pour eux de ne pas se mettre face à un public et de ne pas être tous ensemble dans le même mouvement. Justement, nous cherchons avec mon collaborateur à ce qu’ils fassent preuve d’initiative, qu’ils évoluent avec leur pas dans l’espace de leur choix. Ceci est un exercice qui peut sembler facile mais qui présente des contraintes de choix et d’interprétation.

Quoi faire ? Et pour quoi faire ?

La variété des genres ! Je cherche dans la variété des pas, l’originalité de chacun se fondant dans l’ensemble des pas d’une communauté. Des petits réajustements se font au sein du groupe pour comprendre le mixage des rythmes.

Qui est le chef ? Mais qui faut-il suivre ?

Personne.

Chacun prend le soin de se déplacer comme il le souhaite et où il veut selon le matériau corporel imposé. Cela semble vraiment trop large et trop flou pour eux. La plupart du temps quand ils dansent ils sont ensemble et se copient pour ne représenter qu’une forme unique et semblable. Une uniformité esthétique sert la danse en groupe et cet ensemble de corps est souvent recherché en danse mais là, je recherche l’inverse.

Nous faisons en sorte qu’ils comprennent la situation et qu’ils s’organisent pour danser dans leur groupe. Chaque groupe possède une organisation différente et évolue séparément. Après observation nous constatons que ce travail est nouveau et que chaque groupement d’élèves cherche son leader ou celui que l’on pourrait suivre.

Faire naître la liberté du corps n’est pas simple.

Ni en France ni en Inde ni en Amérique nous ne pouvons accéder rapidement à la grande liberté du corps, la libre expression de soi. Nous obéissons toujours plus au moins à notre culture corporelle, aux codes sociaux, moraux de notre identité nationale, sociétale et familiale.

Kandalsamy et moi sommes aussi pris dans un moule d’uniformité corporelle qui appartient à notre pays et à notre empreinte culturelle. Mais notre travail est d’ouvrir les esprits afin que chacun puisse gagner en liberté d’action et en assurance.

Seulement, pour élargir son dialogue corporel, il est bon de se confronter à d’autres codes d’esthétisme et aux variétés des sonorités du monde.

 Notre intervention est un enseignement de culture et d’émancipation artistique. Nous encourageons la production de nouveaux gestes et de nouvelles formes. Alors le corps s’enrichit de nouvelles perceptions et chaque jour nous gagnons à découvrir de nouveaux sens pour gagner en autonomie. L’éducation du corps est une  prise de conscience de nos possibilités énergétiques et sensorielles.

Nous poursuivons dans ce week-end le travail d’improvisation autour d’une chaise pour deux. Je montre une séquence d’improvisation avec mon partenaire et nous nous essayons sur une séquence courte et précise. Nous exploitons à notre tour cet objet qu’il nous faut convoiter, utiliser tout en exécutant une danse fluide.

L’improvisation demande un lâcher prise sur ce que l’on sait faire et exige une réaction immédiate aux réponses du partenaire dans un profond respect de temps et d’espace partagés. Complicité et inventivité se jouent dans cet exercice de quelques minutes.

J’hésite avant de proposer cette situation d’exploration deux par deux, mais ils semblent si vifs que je ne résiste pas à les voir improviser sur cette chaise.

Je m’amuse à les regarder.

Certains s’y risquent avec beaucoup d’inventivité et d’espièglerie. C’est gagné ! Ils nous font confiance et s’aventurent. Pour certains c’est plus difficile et là, je peux voir les timidités et autres inhibitions agir. Cela ne pose pas de problème, même les plus simples expressions sont accueillies avec sourire et bienveillance.

Nous changeons d’exploration et je mets des musiques avec des consonances africaines pour poursuivre notre construction scénique. Jusqu’à présent nous avions utilisé des musiques indiennes très rapides mais, comme j’ai toujours avec moi toutes sortes de musique, je décide de changer la tonalité rythmique.

Là, je suis surprise, car la nouvelle musique proposée les bloque, les freine, ils ne réagissent plus.

Ils ne sont pas habitués à ces sons différents, ils ne reconnaissent pas leur rythmes, ils ne dansent plus aussi vivement. Mon partenaire aussi me fait comprendre que cette tonalité jazz ne représente rien pour eux et ils n’apprécient pas cette musique.

En Europe nos écoutes sont variées. Nous nous familiarisons avec des musiques du monde mixées et revisitées à la modernité. Je suis donc accoutumée à écouter des airs africains, mongols, russes, indiens, irlandais.

C’est mon expérience et la leur est autre.

Mon collègue aussi semble déboussolé et ces sonorités ne l’inspirent pas vraiment.

Surprise, j’interroge mon choix et l’écoute de musique signe aussi une appartenance à un milieu, une culture, un art. Je poursuis dans ma proposition musicale étrangère à leurs oreilles, ils essaient mais semblent bien coupés dans leur élan créateur.

Je reviens sur des rythmes indiens et je pense que l’imprégnation à d’autres sonorités est une histoire d’habitus.

 Mes observations quant aux sons sont celles d’une néophyte, car à la radio et à la télévision indienne nous pouvons entendre des musiques endiablés qui colorent les films Bollywood et les enfants apprécient de se remuer sur ces sons populaires.

Mais, entre la danse  « Barata natyam » et la danse du ventre il y a-t-il un intermédiaire dans la représentation des enfants?

Je ne suis pas là avec eux pour faire leur éducation musicale ni artistique mais c’est un constat qui est important pour un travail de chorégraphe auprès de ces jeunes corps et de ces jeunes oreilles de constater cette petite différence. Les corps réagissent à des musiques connues.

Après deux week-ends de travail et de découvertes dansées nous réussissons à organiser une chorégraphie pleine de variétés, de rythmes, de gestes et de tempérament.

C’est une joie d’avoir pu partager cette rencontre et d’avoir pu approcher ces petits êtres en devenir.

Je me promets de les revoir.

 

extrait du livre "Entre les pas de chacun" collection Interculture INDP (Interculturel Network for Development and Peace)

  Auteur: Dany Beltran

 

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